Abel Ferrara et son directeur de la photographie, Ken Kelsch, ont longuement évoqué le film « Snake Eyes » dans une interview pour Film Annex.
Kelsch y explique comment Harvey Keitel, James Russo et Madonna avaient des sensibilités et des styles différents dans leur jeu d’acteurs. Ferrara et Kelsch partagent leurs souvenirs sur ce qui a été leur film à plus gros budget (à l’époque), ainsi qu’une source de discorde et de brouille durable entre Madonna et Ferrara. Pour résumer la situation, Madonna a accusé Ferrara d’avoir gâché le film au montage en détournant totalement le script pour lequel elle avait originalement signé, et en intégrant au film des scènes de répétitions, dénaturant le projet d’origine. Les critiques françaises ont adoré (Libération titrait : « Madonna, la Marilyn des années 90 »), mais le reste du monde n’a pas suivi.
Au final, si le film est relativement pénible à regarder, il reste une des performances les plus intenses et les plus convaincantes de Madonna.
Voici les extraits de l’interview liés à Madonna retranscris et traduits par Madonnarama…
Ken Kelsch : Ce film devait être notre percée dans le monde hollywoodien. on nous disait qu’il allait changer nos carrières… Je n’avais pas la moindre idée de la tonne de merde que les critiques allaient déverser sur Madonna. Je pense qu’elle a vraiment fait un bon travail. Je pense même que c’est sa meilleure performance en tant qu’actrice. La combinaison (James) Russo, (Harvey) Keitel and Madonna était plus qu’intéressante. Chacun avait une sensibilité différente, mais aussi un style différent dans le jeu d’acteur… Keitel était le plus à l’aise avec l’improvisation et le danger du dialogue. Russo et Madonna avaient tout mémorisé. Je savais, et tout le monde savait, à part eux deux, que rien du dialogue scripté n’allait apparaître dans le film…
Ingrid, la copine de Madonna était en permanence sur le tournage. C’était intéressant de les voir ensemble. De son côté, Russo n’était pas marié et plutôt solitaire.Abel Ferrara : Non il n’était pas marié à ce moment. Madonna essayait de lui présenter ses copines. Madonna lui arrangeait des dîners et le lendemain, elle lui gueulait dessus : « C’est quoi ton problème, tu n’as même pas niqué ma copine ? Vous avez juste dîné, regardé la télévision et vous êtes rentré séparément ! » Elle le disait devant des centaines de gens.
A l’origine, le film devait coûter 2 millions de dollars, parce qu’elle était assez énorme, avant que son film avec William Dafoe (Body of Evidence) ne sorte. Elle avait sorti ce livre qui avait fait un carton et son album était numéro un. Elle voulait travailler avec nous parce qu’elle avait vu « Bad Lieutenant ».Ken Kelsch : Pour être honnête, je pense qu’elle s’est vraiment énervée quand [Anthony] Redman a réduit les quatre heures et demie du film qu’elle avait vu à l’origine en un premier montage de deux heures et demie. C’est là qu’elle s’en est pris à Redman en lui disant « Tu as complètement gâché mon film ».
Il n’avait pas gâché le film et elle non plus. En fait, et pour vous dire la vérité, le film a été détruit par les critiques à cause de l’association à son nom et pas pour sa qualité.
Tant de gens m’ont dit que ce film était vraiment génial et tant de réalisateurs s’y sont retrouvés plus que dans tout autre film. J’ai rencontré des réalisateurs de film assez commerciaux qui m’ont même avoué avoir vu le film sept fois.[Regardant des images des répétitions du film…]
Abel Ferrara : Voici un moment dans lequel Madonna est vraiment géniale. On a tourné ces images, deux mois avant le tournage du film.
Ken Kelsch : Oui, c’est moi qui avait tourné ça. On a filmé beaucoup de répétitions.
Abel Ferrara : Elle ne se doutait pas une seule seconde qu’on utiliserait ces images. Regardez là, elle est totalement investie, elle est absolument cool. Elle ne savait pas que la caméra était allumée. Elle est vivante. Cette fille est vraiment vibrante dans ces images.[Regardant la scène dans laquelle Russo bastonne sa copine dealer…]
Ken Kelsch : Il en a mis une bonne à Madonna aussi. Il avait dit « Je ne sais pas si elle sait jouer, mais elle est capable de se prendre une tarte sans broncher. »
Ken Kelsch : C’est un film d’art dans un film d’art.
J’ai commencé à tourner ces images avec Madonna qui me gueulait dessus. Elle m’insultait. Elle disait « Je ne suis pas en train de me faire photographier par Richard Avedon ».
Abel Ferrara : Il n’avait rien dit, en plus. Juste « puisqu’on y est, tu devrais relever la tête un peu plus ». C’était comme si c’était la putain de question à ne pas poser.
Ken Kelsch : Je sais qu’elle voulait vraiment qu’on la filme. La plupart des acteurs veulent qu’on les filme au bon moment, surtout qu’elle ne faisait jamais deux fois la même chose.Abel Ferrara : Elle est devenue une grande réalisatrice à présent.
Ken Kelsch : Oh oui.
Abel Ferrara : Nous sommes bon amis avec sa publiciste.
Ken Kelsch : On est ami avec Guy Ritchie ou pas ?
Abel Ferrara : J’ai aimé son film… celui avec un gitan qui combat… Snatch.
Ken Kelsch : J’ai l’impression qu’il refait le même film à chaque fois.
Abel Ferrara : Jusqu’à ce qu’il la rencontre, ensuite ils ont refait Swept Away [A la dérive].
Regardez la vidéo intégrale ici…
Quelques scènes du film « Snake Eyes »…